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mardi, 24 août 2010

Un jugement amusant du Tribunal d'instance de Bobigny contre CARREFOUR

Le voici :

 

FAITS ET PROCEDURE


Du 3 octobre au 10 novembre 2007, la SAS CARREFOUR HYPERMARCHES a organisé un jeu nommé "tick'effets du mois CARREFOUR" consistant en la remise aux clients, lors de leurs passages en caisses à l'occasion de l'achat de certains produits, de tickets
comportant 9 cases. Seules trois cases devaient être découvertes et, dans l'hypothèse où le même chiffre y apparaîtrait, des bons d'achat de 3, 4 ou 5 euros étaient notamment gagnés.

Par déclaration au greffe de la juridiction de proximité de céans, Monsieur Serge Julien X... a sollicité la convocation de la SAS CARREFOUR HYPERMARCHES afin d'obtenir paiement de la somme de 519 euros à titre principal, outre 2000 euros à titre de dommages et intérêts.

Au soutien de ses demandes, Monsieur Serge Julien X... expose avoir participé au jeu "Tick'effets" dans le magasin CARREFOUR du Centre commercial de ROSNY 2 et que, malgré la présentation de 133 tickets gagnants, il n'a pu obtenir la remise de ses gains.

Les parties ont été convoquées à l'audience du 5 décembre 2007.

A l'audience du 5 décembre 2007, Monsieur Serge Julien X... a maintenu ses demandes et a déclaré avoir "regardé au travers" des tickets. Il a soutenu avoir jeté plusieurs tickets perdants et en a déduit que les statistiques établies par CARREFOUR n'étaient pas fiables.

La SAS CARREFOUR HYPERMARCHES représentée par son avocat a conclu au rejet des demandes de Monsieur SERGE Julien X... et sa condamnation au paiement de 1000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Au soutien de sa défense, la SAS CARREFOUR HYPERMARCHES a exposé qu'il était possible, en examinant les "tick'effets" à l'aide d'un laser ou d'une lampe flash, de révéler les cases gagnantes sans les gratter, et que cette méthode avait été divulguée sur l'internet. Elle a fait valoir qu'elle avait obtenu la fermeture des forums et blogs concernés.

La société a soutenu que le demandeur était présumé fraudeur en raison de la proportion très élevée de tickets gagnants par rapport au nombre total de tickets qui lui avait été remis lors de ses passages en caisses, alors que les chances de gratter autant de cases gagnantes étaient extrêmement faibles. La société a estimé par conséquent que le demandeur n'avait pas participé loyalement au jeu.

L'affaire a été mise en délibéré au 22 janvier 2008. A cette date, son renvoi devant le Tribunal d'instance en raison de difficultés sérieuses a été ordonné par application des dispositions de l'article 847-4 du Code de procédure civile.

Les parties ont été convoquées à l'audience du 11 mars 2008. Un renvoi a été ordonné.

A l'audience du 8 avril 2008, Monsieur Serge Julien X... représenté par son avocat demande au Tribunal de rejeter les prétentions de la SAS CARREFOUR HYPERMARCHES, de lui donner acte de ce qu'il remet à celle-ci les 16 tickets restés en sa possession d'une valeur de 48 euros et sollicite la condamnation de la société à lui verser les sommes de 519 euros au titre au titre de ses gains et 2000 euros à titre de dommages et intérêts, outre sa condamnation aux dépens.

A l'appui de ses prétentions, Monsieur Serge Julien X... rappelle à titre liminaire que, comme l'indique le règlement du jeu, chaque ticket était potentiellement gagnant.

Il indique avoir effectué de nombreux achats dans le magasin CARREFOUR de ROSNY SOUS BOIS et avoir gratté les bonnes cases sur 194 tickets, dont 50 ont peu être échangés contre des bons d'achats. Il précise avoir rapporté au magasin 128 autres tickets gagnants le 8 octobre 2007 si bien que le règlement en date du 2 octobre 2007, et non l'avenant en date du 9 octobre 2007, devait être appliqué et les lots devaient lui être remis immédiatement.

Il conteste avoir fraudé et soutient être totalement étranger aux forums de discussion mentionnés par la SAS CARREFOUR HYPERMARCHES ; il relève que ces astuces révèlent simplement l'existence d'un défaut dans la conception des tickets. Il rappelle que la fraude ne se présume pas et doit être prouvée par la société, et qu'il ne saurait lui être reproché d'avoir gagné.

Il soutient que la SAS CARREFOUR HYPERMARCHES a engagé sa responsabilité quasi-délictuelle en ne respectant pas le règlement qu'elle avait elle-même édicté et lui a occasionné un préjudice justifiant l'octroi de dommages et intérêts.

La SAS CARREFOUR HYPERMARCHES représentée par son avocat demande au Tribunal de débouter Monsieur Serge Julien X... de ses prétentions et de le condamner :
- à lui payer la somme de 162 euros correspondant aux gains qui lui ont été indûment remis,
- à lui restituer, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir, les tickets restés en sa possession,
- à lui payer un euro de dommages et intérêts pour procédure abusive,
- à lui payer 1000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure civile et aux dépens.

La société demande enfin au Tribunal de se réserver le pouvoir de liquider l'astreinte.

Au soutien de sa défense, la SAS CARREFOUR HYPERMARCHES rappelle que le règlement du jeu stipule que "toute tentative de fraude de la part d'un participant pourra entraîner la nullité de toutes ses participations" et que la fraude corrompt tout.

Elle relate que, dès les premiers jours de l'opération, de nombreux consommateurs ont dénaturé l'esprit du jeu et se sont présentés avec des planches entièrement couvertes de tickets gagnants, révélant indubitablement une fraude en raison de la très faible probabilité d'obtenir un tel résultat.

Elle souligne que les procédés déloyaux permettant de révéler les cases gagnantes autrement qu'en les grattant ont été développés sur l'internet et qu'elle a adressé plusieurs mises en demeure aux sites concernés ; elle déplore cependant que, malgré la suppression de ces discussions, la divulgation du procédé s'est poursuivie si bien que l'entreprise a pris des mesures pour endiguer la fraude.

Elle affirme que le demandeur s'est vu attribuer 191 tickets grâce aux sis passages en caisse qu'il a effectués en deux jours et qu'il se prévaut d'au moins 188 tickets gagnants, soit une proportion de 98,4 % de "grattages heureux". Elle souligne le caractère irréaliste de ce chiffre dès lors que la probabilité de percevoir un lot varie, selon les tickets, d'une chance sur 21 à une chance sur 84, si bien que la probabilité d'obtenir 188 tickets gagnants sur 191 est inférieure à celle de gagner le gros lot au LOTO.

La SAS CARREFOUR HYPERMARCHES en déduit que Monsieur Serge Julien X... a fraudé et que son action en justice est abusive.


MOTIFS DE LA DECISION

Sur la demande principale

L'article 1371 du Code civil dispose que les quasi-contrats sont les faits purement volontaires de l'homme, dont il résulte un engagement quelconque envers un tiers, et quelquefois un engagement réciproque des deux parties.

La fraude ne se présume pas ; il incombe à celui qui se prévaut d'un comportement frauduleux d'en rapporter la preuve.

En l'espèce, la SAS CARREFOUR HYPERMARCHES, a entre le 3 octobre et le 10 novembre 2007, distribué des "tick'effets" pouvant donner lieu à l'octroi de bons d'achat.

Le règlement du jeu "le tick'effet du mois CARREFOUR" précise que "le participant doit gratter trois (3) des neuf (9) cases présentes sur le "tick'effets". Le tick'effets est gagnant uniquement si le participant découvre trois (3) symboles/montants identiques".

Il mentionne en outre que "toute tentative de fraude de la part d'un participant pourra entraîner la nullité de toutes ses participations".

Il n'est pas contesté par les parties que Monsieur Serge Julien X... a effectué des achats au magasin CARREFOUR de ROSNY SOUS BOIS et s'est vu remettre en échange un certain nombre de "tick'effets".

La SAS CARREFOUR HYPERMARCHES soutient que le demandeur a découvert les cases gagnantes sur ces tickets par un moyen frauduleux de nature à le déchoir de tout droits sur les gains.

Or, en premier lieu, l'examen des tickets versés aux débats ne révèle aucune altération autre que le grattage de trois cases sur chacun, conformément au règlement.

En deuxième lieu, Monsieur Serge Julien X... a déclaré, lors des débats devant le Juridiction de proximité, avoir "regardé au travers" des tickets mais n'a pas indiqué avoir fait usage d'un laser ou de tout autre objet de nature à révéler les cases gagnantes. La SAS CARREFOUR HYPERMARCHES ne rapporte pas la preuve de l'utilisation d'un tel procédé par le demandeur, dont le caractère frauduleux n'est en tout état de cause pas établi.



En troisième lieu, l'évaluation mathématique du caractère probable de gratter les bonnes cases, telle que calculée par la SAS CARREFOUR HYPERMARCHES, ne révèle pas une impossibilité absolue de gagner, puisque chaque ticket est potentiellement gagnant ; par conséquent, elle ne saurait davantage établir la fraude alléguée.

Ainsi, la SAS CARREFOUR HYPERMARCHES ne rapporte pas la preuve, qui lui incombe, de la fraude dont elle de prévaut.

Il en résulte que, en refusant de délivrer les bons d'achat correspondant aux "tick'effets" gagnants présentés par le demandeur, la SAS CARREFOUR HYPERMARCHES a manqué à ses obligations et sera condamnée à indemniser le demandeur.

Il convient de relever que sont versés aux débats 126 "tick'effets", soit 56 tickets ouvrant droit à un bon d'achat de 3 euros, 53 tickets ouvrant droit à un bon d'achat de 4 euros et 17 tickets ouvrant droit à un bon d'achat de 5 euros (soit un total de 465 euros).Toutefois, la "fiche de prise en compte de tickets anniversaire Carrefour", non contestée par la société, mentionne la remise, par le demandeur, de 128 tickets pour un gain total de 471 euros.

Le demandeur ayant remis en outre à l'avocat de la SAS CARREFOUR HYPERMARCHES, lors de l'audience, seize tickets gagnants dont la valeur n'a pas été relevée, le gain de ces tickets sera évalué au plus faible montant possible, soit 3 euros par ticket et 48 euros au total.
La société devra par conséquent être condamnée au paiement de la somme de 519 euros correspondants aux gains qui auraient du être remis au demandeur.

En outre, le refus par la SAS CARREFOUR HYPERMARCHES de verser au demandeur ses gains conformément aux règles du jeu édictées par elle-même, le contraignant à recourir à la justice, a causé à celui-ci un préjudice distinct de celui réparé par le paiement des dits gains qui sera justement évalué à un euro.


Sur les autres demandes

les prétentions du demandeur étant accueillies, la société sera déboutée de ses demandes contraires (restitution des gains précédemment octroyés, remise des tickets sous astreinte, dommages et intérêts pour procédure abusive).

La SAS CARREFOUR HYPERMARCHES qui succombe supportera les dépens.



PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement, par décision contradictoire et en dernier ressort,

Condamne la SAS CARREFOUR HYPERMARCHES à payer à Monsieur Serge Julien X... les sommes de :
- 519 euros (cinq cent dix-neuf euros) au titre des gains,
- 1 euro (un euro) à titre de dommages et intérêts,

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

Condamne la SAS CARREFOUR HYPERMARCHES aux dépens.

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