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vendredi, 20 août 2010

Contrat d'amodiation et clause abusive

Un arrêt de la Cour de Cassation sur ce sujet :

 

Vu l'article L. 132-1, alinéa 1er, du code de la consommation ;

Attendu qu'aux termes de ce texte, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ;

Attendu qu'en vertu d'un contrat d'amodiation conclu le 18 mai 2000 avec la société Port Deauville (la société), concessionnaire de l'exploitation du port de plaisance de Deauville pour une durée de cinquante ans à compter du 1er janvier 1972, M. X... est devenu amodiataire d'un poste d'amarrage et de mouillage pour une durée fixée par l'article 1er du contrat à celle de la concession ; qu'ayant vendu son bateau, il a, par lettre du 13 juin 2006, notifié la résiliation du contrat avec effet au 20 juin 2006, précisant être à jour des charges afférentes à l'emplacement en cause ; qu'assigné en paiement d'un complément de charges portuaires au titre de l'année 2006 et des charges de l'année 2007, il a opposé le caractère abusif de la clause fixant la durée de l'amodiation à celle de la concession ; 

Attendu que, pour écarter le caractère abusif de la clause litigieuse et condamner M. X... à payer à la société les sommes par elle réclamées, le jugement attaqué énonce, d'abord, que la durée du contrat, qui est longue, s'explique par la nature du contrat portant occupation du domaine maritime de l'Etat, qu'elle a été contradictoirement acceptée par l'amodiataire lors de la signature du contrat, qu'elle s'impose donc aux deux parties et qu'il n'existe pas de déséquilibre entre les droits et obligations des deux parties, tenues l'une comme l'autre par cette durée, ensuite, que, si l'article 5 du contrat interdit à l'amodiataire de céder ou de sous-louer l'emplacement, cette règle est toutefois limitée par le règlement de police applicable au port de plaisance qui prévoit, en son article 27, alinéa 2, qu'en cas de vente d'un navire, le poste d'accostage concerné ne peut faire l'objet d'un transfert de jouissance, de la part du titulaire, au profit du nouveau propriétaire sans un accord formel du concessionnaire, de sorte qu'il appartient à M. X... de faire le nécessaire et qu'il ne peut se voir déchargé de ses obligations contractuelles concernant la durée de la convention, enfin, que, s'il est établi et non contesté que la société a mis l'emplacement à la disposition de tiers, ce fait constitue l'application de l'article 26 du règlement précité qui l'autorise à disposer de l'emplacement toutes les fois que l'amodiataire le libère pendant plus de sept jours sans effectuer une déclaration d'absence ;

Qu'en se déterminant ainsi, quand l'article 1er du contrat d'amodiation a pour objet et pour effet de maintenir l'amodiataire dans les liens contractuels pendant la durée de la concession en lui imposant de payer les charges portuaires afférentes à l'emplacement amodié, sans lui réserver la faculté de résilier la convention pour un motif légitime, et alors que, d'une part, l'article 5 lui interdit de céder ou sous-louer l'emplacement, tandis que le règlement de police du port ne prévoit la possibilité d'un transfert de jouissance du poste d'accostage qu'en cas de vente d'un navire et assujettit ce transfert à un accord formel du concessionnaire, et que, d'autre part, la société est autorisée à disposer de l'emplacement au profit de tiers passé un délai d'inoccupation de sept jours, de sorte que la société ne justifie pas d'un préjudice en cas de résiliation moyennant un préavis de sept jours ; qu'il en résulte un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties ; que la clause contenue à l'article 1er du contrat d'amodiation est donc abusive et, partant, réputée non écrite ; que, dès lors, la juridiction de proximité a violé, par refus d'application, les dispositions du texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il soit besoin de statuer sur le second moyen :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, le jugement rendu le 5 juin 2008, entre les parties, par la juridiction de proximité de Pont-L'Evêque ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit jugement et, pour être fait droit, les renvoie devant la juridiction de proximité de Lisieux ;

Condamne la société Port Deauville aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Port Deauville à verser à M. X... la somme de 2.000 € ; rejette la demande de la société.

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement cassé ;




Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit décembre deux mille neuf.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux conseils, pour M. X... 

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

IL EST FAIT GRIEF au jugement attaqué d'avoir condamné Monsieur X... au paiement de la somme de 1.773,26 € avec intérêts au taux de 1 % à compter du 5 juillet 2007 et ce, jusqu'à complet paiement au profit de la société Port Deauville ;

AUX MOTIFS QUE l'article 1er du contrat d'amodiation fixe la durée du contrat à celle de la concession du Port de Plaisance de Deauville ; qu'il est indiqué, page 1, que « l'amodiataire déclare avoir pris parfaite connaissance de la dite concession et du cahier des charges sus énoncés et être en possession d'une copie de ces documents » ; que l'article 7 du contrat d'amodiation précise qu'une copie de la concession lui est remise et dans ce contrat l'article 42 fixe la durée de la concession à 50 ans à partir du 1er janvier suivant la date de l'acte de concession soit le 1er janvier 1972 ; que certes la durée du contrat est longue mais elle s'explique par la nature du contrat portant occupation du domaine maritime de l'Etat et elle a été contractuellement acceptée par Monsieur Pierre X... lors de la signature du contrat ; qu'elle s'impose donc aux deux parties et il n'existe pas de déséquilibre entre les droits et obligations des deux parties qui sont tenues l'une comme l'autre par cette durée ; que certes l'article 5 du contrat d'amodiation interdit à l'amodiataire de céder ou de sous-louer l'emplacement ; que cette règle est toutefois limitée par le règlement de police applicable au Port de Plaisance qui prévoit dans son article 27 alinéa 2 « En cas de vente d'un navire, le poste d'accostage concerné ne peut, en aucun cas, faire l'objet d'un transfert de droit de jouissance, de la part du titulaire, au profit du nouveau propriétaire sans un accord formel du concessionnaire » ; qu'il appartient donc à Monsieur Pierre X... de faire le nécessaire en ce sens mais il ne peut se voir déchargé de ses obligations contractuelles concernant la durée de la convention ; qu'il est établi et non contesté par la société Port Deauville que celle-ci a mis l'emplacement litigieux à la disposition de tiers ;

ALORS QUE l'article 1 du contrat d'amodiation a pour objet et pour effet de maintenir l'amodiataire dans les liens contractuels pendant cinquante ans en lui imposant de payer les charges afférentes à l'emplacement réservé, quand bien même il serait placé pour un motif légitime dans l'impossibilité d'utiliser cet emplacement et que la résiliation du contrat ne causerait aucun préjudice au concessionnaire ; que le caractère abusif de cette clause est encore aggravé par l'article 5 du contrat qui interdit à l'amodiataire de sous-louer ou de céder son emplacement ; qu'en raison de ses conditions extrêmement restrictives d'application, dont le Juge du fond ne constate pas qu'elles se trouvent réunies en l'espèce, l'article 27 alinéa 2 du règlement de police du port n'a pas pour effet de faire disparaître le déséquilibre significatif ainsi créé par la clause de durée litigieuse au détriment du consommateur ; qu'en refusant de constater le caractère abusif de la clause, et d'en constater la nullité, la juridiction de proximité a violé l'article L. 132-1 du Code de la consommation.

SECOND MOYEN DE CASSATION :

IL EST FAIT GRIEF au jugement attaqué d'avoir condamné Monsieur X... au paiement de la somme de 1.773,26 € avec intérêts au taux de 1 % à compter du 5 juillet 2007 et ce, jusqu'à complet paiement ;

AUX MOTIFS QUE si la faculté de résiliation est effectivement prévue, cette faculté est soumise à l'acceptation de la société Port Deauville SA ; que s'il est établi et non contesté par la société Port Deauville SA que celle-ci a mis l'emplacement litigieux à disposition de tiers, ce fait constitue l'application du règlement de police du port de plaisance et de son article 26 qui précise que tout amodiataire doit effectuer une déclaration d'absence toutes les fois qu'il libère pendant plus de 7 jours le poste amodié et que faute d'avoir été saisie d'une telle déclaration, la société Port Deauville en disposera ; que cette mise à disposition ne peut s'analyser comme une acceptation de la résiliation par Port Deauville, puisque le transfert du droit de jouissance à un nouveau propriétaire nécessite un acte écrit d'amodiation informant le nouveau propriétaire de ces droits et obligations et constatant le transfert de jouissance, ces contrats devant faire l'objet d'enregistrement et d'accord formel de la société Port Deauville SA ;

ALORS, D'UNE PART, QUE l'article 27 du règlement de police du port de Deauville, qui n'est applicable qu'en « cas de vente d'un navire », stipule clairement que l'accord formel du concessionnaire concernant le transfert de jouissance du poste d'accostage n'est exigé que dans l'hypothèse où ce transfert a lieu, d'une part, à l'initiative du titulaire de l'emplacement et, d'autre part, au profit du nouveau propriétaire du bateau ; qu'il résulte des énonciations du jugement attaqué que cette disposition était inapplicable en l'espèce, le transfert de jouissance ayant eu lieu au profit de tiers sans vente de navire et à la seule initiative du concessionnaire ; qu'en conséquence l'attitude du Port emportait acceptation de la résiliation du contrat que lui avait notifiée Monsieur X... ; que c'est dès lors en dénaturant les termes clairs et précis de l'article 27 du règlement de police du port que le Juge de proximité a considéré qu'à défaut de l'accord formel prévu à cette disposition, le concessionnaire ne saurait avoir accepté la résiliation du contrat notifiée par Monsieur X... au 20 juin 2006 ; qu'en statuant ainsi, le Juge de proximité a violé ledit règlement et l'article 1134 du Code civil ;

ALORS, D'AUTRE PART, QU'en s'abstenant de rechercher si cette réutilisation de l'emplacement remis à sa disposition, de son plein gré et en-dehors de tout code légal ou réglementaire, n'impliquait pas, de la part de la société Port Deauville l'acceptation de la résiliation du contrat qui lui avait été notifiée, le juge du fond a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du Code civil.

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